Vivre avec la leucémie
Chaque année en France, 2300 enfants sont touchés par le cancer. La leucémie (au sens large) représente près d’un quart de ces cancers…
Quand on apprend qu’un enfant est atteint d’un cancer, les pensées tourbillonnent dans notre esprit, souvent mêlées d’incompréhension et de peur. Pourtant, la réalité de cette épreuve va bien au-delà de ce que l’on peut imaginer…
En cette journée particulière, nous ouvrons un espace d’expression à Bérangère, une maman qui se bat aux côtés de son fils, Léandre, contre la leucémie. Elle nous offre un regard sans filtre sur un parcours complexe, des premiers mots du diagnostic à la réorganisation totale du quotidien.
C’est une plongée intime dans la vie d’une aidante familiale, qui comme toutes, donne tout et tente de faire au mieux ! Une vie façonnée par la résilience, l’amour inconditionnel, l’espoir et le soutien constant. Bérangère nous guide à travers ce combat auquel aucun enfant ne devrait être confronté…
Comment tout a commencé pour Léandre ?
Léandre a fêté ses 5 ans fin novembre 2017. Quelques jours plus tard, je voyais que son visage était très pâle. Il était très cerné. On voyait davantage ses veines sur son corps qui lui aussi était plus pâle que d’habitude. Une fois, il a dit qu’il avait mal aux jambes. Puis, il a eu une conjonctivite.
Le samedi, je l’ai amené chez le confrère de notre médecin de famille (qui était absent ce jour-là). Je pressentais qu’il avait quelque chose ; j’ai demandé au médecin une ordonnance pour faire une prise de sang. Après auscultation, il a répondu que ce n’était pas nécessaire qu’il allait bien. Au fond de moi, je n’étais pas convaincue.
Le lundi, l’œil de Léandre n’allait toujours pas mieux ; je le ramène chez notre médecin de famille qui lui prescrit une prise de sang. Je pars en déplacement avec mon mari pour le travail. Le jeudi matin, on amène Léandre au laboratoire. Le soir, je récupère les résultats et je vois beaucoup de chiffres en gras. Au même moment où je m’interroge et je sens que ce n’est pas bon, mon médecin de famille m’appelle en me demandant d’amener Léandre aux urgences pour faire des examens complémentaires… j’avais deviné-pressenti qu’il avait une leucémie…
A l’annonce du diagnostic, qu’est-ce qui a changé concrètement dans votre quotidien ?
Notre monde s’est écroulé. Il a fallu revoir notre écosystème familial mais également professionnel (mon mari et moi avons une société dans laquelle nous travaillons ensemble avec un collaborateur).
Léandre a un frère aîné, Hugo, qui allait à l’école primaire. Léandre allait être immunodéprimé à cause de la chimiothérapie qu’il allait recevoir (il n’avait plus de défenses immunitaires ce qui le rendait très fragile face aux virus et bactéries). Notre réaction de protection est immédiate ; notre aîné continuait d’aller à l’école mais dès le moindre signe de virus, on le mettait à l’écart chez les grands-parents ou on portait un masque pour protéger Léandre, qui lui, était déscolarisé.
Mon mari continuait de travailler ; moi, je m’occupais de rester avec Léandre lors de ses séjours l’hôpital, mes parents géraient Hugo à la maison pendant quelques mois. A la moindre fièvre de Léandre, il fallait partir en urgence à l’hôpital pour soigner et surveiller.
Nous nous sommes coupés de la famille et des amis pour avoir le moins d’interaction possible avec les microbes. Les repas de Léandre devaient être protégés (pas le droit à une alimentation artisanale où il y avait de la manipulation humaine hormis la nôtre type boulangerie, boucherie, restaurant), uniquement sous vide, avec une ouverture utilisable pendant 24 heures), les serviettes de bain et des mains changées chaque jour pour éviter la prolifération des bactéries dans l’humidité.
D’une simple maman, je devenais infirmière, institutrice (car je devais lui faire cours à la maison), coordinatrice, intendante… Léandre était malade physiquement (et psychologiquement) mais toute la famille était impactée par les « dommages collatéraux ». Hugo s’est senti « abandonné » par nous, parents, qui étions centrés sur Léandre qui demandait beaucoup de soins. Nous avons fait de notre mieux…
Vous avez donc dû commencer une chimiothérapie rapidement. La chimiothérapie, ça consiste en quoi exactement ? Combien de temps ça a duré ?
Le traitement de Léandre a duré 2 ans et 7 mois : pendant un an, il a eu des cures intensives de chimiothérapie injectées par un cathéter externe, dont le tuyau ou « tubulure » long d’une vingtaine de centimètres, sortait de la poitrine. Cela pouvait aller de quelques heures d’hospitalisation à plusieurs jours suivant la cure avec une hospitalisation immédiate en cas de fièvre. Il a eu également de nombreuses ponctions lombaires (grosse aiguille plantée dans le bas du dos entre deux lombaires) avec des injections de chimiothérapie ainsi que des myélogrammes (grosse aiguille plantée dans l’os à l’arrière du bassin) pour vérifier l’évolution de la maladie.
Puis pendant une année, il a eu de la chimiothérapie uniquement par voie veineuse et voie orale. Ensuite le traitement s’est allégé ; il a eu de la chimiothérapie uniquement par voie orale.
Un peu plus de deux ans et demi après le début du traitement, on vous annonce que Léandre est en rémission. Est-ce que c’est la joie immense ou est-ce que la peur est encore présente ?
Nous avons célébré la fin du traitement en se récompensant avec une nuit dans un hôtel 5 étoiles les pieds dans l’eau. Toute la famille s’en souvient encore. Nous étions fiers de Léandre, fiers de nous et de notre solidarité !
Les malades sont déclarés guéris 5 ans après la prise du dernier comprimé de chimiothérapie. La peur était présente à chaque prise de sang : plusieurs fois par semaine au début, puis une fois tous les 15 jours, une fois par mois au bout d’un an… puis elles s’espacent… Au bout de 2 ans, ce n’était plus qu’une fois tous les 3 mois.
Puis, à mi-chemin, on vous annonce la rechute… Avez-vous perçu des signes précurseurs ou est-ce que ça a été plutôt inattendu ?
La première fois, étant donné que Léandre avait des signes visibles de la maladie, je scrutais chaque jour son corps, son visage et à la moindre pâleur, c’est moi qui blêmissais. Au bout de deux ans, j’ai voulu me détacher de cette angoisse permanente. Je voulais vivre et profiter en famille. Léandre était retourné à l’école, il mangeait à la cantine, était inscrit au karaté, on voyageait. Rien ne laissait présager la rechute… C’est au cours d’une prise de sang de contrôle que j’ai vu que la leucémie frappait de nouveau.
Vous pouvez nous expliquer ce qui passe – médicalement – quand il y a une rechute ? Est-ce qu’on vous a parlé rapidement de la nécessité d’une greffe de moelle osseuse ?
Au départ, il a eu un protocole de chimiothérapie et de ponctions lombaires. La greffe de moelle osseuse s’est décidée en concertation avec plusieurs médecins. Elle restait sous condition qu’il n’y ait plus aucune trace de la maladie afin de faire une greffe de moelle osseuse sur un sang débarrassé de toutes mauvaises cellules. Or, les traitements n’étaient pas totalement efficaces pour Léandre. Il a fallu lui administrer des cures d’immunothérapie afin de le mettre en rémission. Les démarches pour trouver un donneur de moelle compatible avec Léandre ont commencé. Son frère aîné de l’était pas ; mon mari et moi non plus.
Un premier donneur compatible a été trouvé sur une liste internationale de donneurs mais nous avons appris plus tard que finalement, ce don n’était plus possible (nous en ignorons les raisons). Le choc. Aucun autre donneur compatible ; il fallait envisager un greffon de sang de cordon ombilical… Trois jours avant de partir à Marseille (les greffes se font soit à l’hôpital de la Timone – Marseille donc – soit à Necker), nous sommes convoqués à Nice pour faire les derniers examens. Le médecin nous apprend que le sang de cordon n’est pas suffisamment de bonne qualité pour permettre un greffon « efficace ». Seconde douche froide. Finalement, le donneur est trouvé mais il faut attendre plusieurs semaines pour vérifier qu’il soit toujours en bonne santé pour le don, disponible et d’accord. Tous les voyants étaient enfin au vert, la démarche était enfin lancée.
En août 2023, vous êtes transférés à l’Hôpital de la Timone au Service des greffes de moelle osseuse, l’UPIX (Unité Pédiatrique d’Isolement). Qu’est-ce que vous ressentez au moment où vous entrez dans ce service ? Comment organisez-vous votre séjour ?
Au début, je n’avais pas envie de rentrer dans ce service. La situation d’isolement et de vigilance/surveillance extrême me faisaient peur… mais c’est finalement ce service qui pourrait sauver mon fils.
Nice-Marseille, c’est proche et loin à la fois. 2h30 de route… Mais ni mon mari ni moi ne voulions faire les allers-retours avec la fatigue et laisser trop longtemps l’autre gérer seul les jours et les nuits intenses auprès de Léandre. Nous avons donc décidé de louer un appart’hôtel en face de l’hôpital pour nous permettre d’être rapidement auprès de notre fils. Seul un parent était autorisé à rester avec Léandre dans la chambre mais nous pouvions faire un roulement autant de fois que nécessaire. Le seul moment où mon mari et moi pouvions nous croiser était dans le sas qui séparait le couloir du service et la chambre stérile.
A Nice, nous avions laissé notre fils aîné avec mon père. C’était début août et j’avais organisé le reste de ses vacances pour faire en sorte qu’il soit occupé et jamais seul même s’il était loin de nous. Parfois, la famille ou les amis venaient nous rendre visite pour quelques heures et nous en profitions pour voir notre grand. Mon mari et moi nous obligions à garder le masque lorsque nous étions en contact avec du monde afin d’éviter d’attraper un virus et potentiellement le transmettre à Léandre qui était très fragile.
C’est quoi le quotidien dans ce service ? Une journée typique ça ressemble à quoi ?
Mon mari et moi faisions plusieurs « quarts » dans la journée afin de permettre à celui qui était dans la chambre stérile d’être près de Léandre et à l’autre de dormir, manger, se doucher. Il faut avouer que le rythme à l’UPIX n’est pas de tout repos.
Toute personne qui entrait dans la chambre de Léandre devait s’équiper d’une blouse stérile, une charlotte, un masque, des surchausses, désinfection des mains, téléphone, lunettes. Interdiction de boire ou de manger dans la chambre, hormis pour Léandre. La chambre était placée sous un flux d’air purifié.
Le matin, aux alentours de 8h, le parent qui avait passé la nuit à l’appartement venait prendre la relève du parent resté dans la chambre jusqu’à 13-14h. Dans la chambre, le personnel de ménage commençait à nettoyer le sol, les toilettes (utilisables uniquement par Léandre) et le lavabo (pas de douche pour éviter l’eau stagnante), les lattes en plastiques qui séparaient la chambre de 5 m² du petit couloir où se trouvait la desserte de matériel médical dédié à notre fils. Changement de draps, petit-déjeuner. La « douche » de Léandre se faisait avec un petit bol d’eau stérile chauffée au micro-ondes (mais qui se refroidissait très vite), 5 lavettes stériles et des pipettes de savon. Une torture pour Léandre qui était très vite frigorifié.
De jour comme de nuit, il y avait un ballet incessant d’infirmières qui venaient mettre les traitements ou réparer les machines avertissant d’un défaut par des bips stridents. Chaque matin, un médecin du service auscultait Léandre et faisait un point sur les résultats des prises de sang de 5h du matin. Vers 13-14h, changement de parent dans la chambre. L’après-midi, souvent, des associations passaient faire de l’animation mais il n’y a eu personne durant les vacances scolaires d’été. C’était très long ; quoi qu’il en soit, Léandre était tellement fatigué qu’il n’avait envie de rien faire, ni de jouer, ni de parler. Le soir, dernier changement de parent vers 20h pour le reste de la nuit.
Le jour de la greffe arrive. Racontez-nous cette journée particulière ?
Le matin de la greffe, l’infirmière nous informe que la poche de la moelle est arrivée par avion sur Marseille. Elle est traitée par un centre (Paoli Calmettes) puis transportée jusqu’à la chambre de Léandre. L’infirmière nous informe que la poche arrivera vers 13-14h. La moelle osseuse ressemble à une poche de sang que l’on injecte via le cathéter.
Pour ce jour très spécial, mon mari et moi avions le droit de rester tous les deux avec Léandre. Lorsque l’infirmière arrive dans la chambre avec la poche, nous sommes submergés d’émotion. Les larmes de joie, de peine, de peur, de reconnaissance coulent. On filme cet événement, on se prend en photo pour immortaliser ce moment. Sur la poche, on peut lire la provenance du donneur : San Diego aux Etats Unis. On connait la date de naissance du donneur mais aucun autre renseignement n’apparaît. San Diego… tout ce voyage pour tenter de sauver notre fils…
On vous annonce une sortie au bout de combien de temps ?
Une sortie peut être envisagée entre 35 et 45 jours après la greffe. Les médecins nous annoncent une date de sortie tant attendue… La veille, Léandre fait de la fièvre. Coup dur car nous avions averti notre famille de notre retour… Grosse déception pour nous mais aussi pour notre aîné car il nous attendait avec impatience. Presque 2 mois sans nous voir, on se manquait. Après quelques jours supplémentaires à Marseille, le transfert se fait à l’hôpital à Nice. Presque une semaine de plus avant de pouvoir enfin regagner notre domicile et se retrouver en famille. Au total, 2 mois loin de chez nous pour tenter de sauver Léandre.
Qu’est-ce qui aide à tenir le cap durant un tel isolement ?
Le fait d’être à deux, mon mari et moi, nous a beaucoup aidé à garder le moral et à se soutenir. Avoir un endroit où dormir correctement, manger, se doucher nous a permis de rester relativement en forme pour supporter les montagnes russes et les conditions de vie difficile de cette hospitalisation. Les visites de notre famille et nos amis nous ont permis de nous changer les idées. Parmi le personnel médical, il y avait des filles qui étaient exceptionnelles : elles nous ont portés grâce à leur empathie, leur bonne humeur, leur disponibilité et leurs bons soins auprès de Léandre. Et puis… les rencontres avec les parents… le lien ne se créé pas avec tous, mais quand le coup de cœur se passe, on est lié par quelque chose de très spécial, indescriptible. Je prenais plaisir à nos rendez-vous nocturnes pour papoter, prendre des nouvelles des enfants, raconter les péripéties, remonter le moral, rassurer, faire part des inquiétudes, rigoler, en gardant toujours un œil sur le sommeil plus ou moins paisible de nos enfants.
Le moment de rentrer à Nice arrive. Le suivi se fera là-bas ? En quoi cela consiste-t-il ?
Nous étions à Marseille uniquement pour la greffe. Tout le suivi se fera dans le service que fréquente Léandre depuis 6 ans. Au début, il doit se rendre à l’hôpital pour des prises de sang et consultations 3 fois par semaine, puis les rendez-vous s’espacent. Comme pour la première fois, l’attention des médecins est portée principalement sur le taux de globules rouges et blancs afin de lever au fur et à mesure les restrictions, et, évidemment, vérifier que les mauvaises cellules ne réapparaissent pas.
A 6 mois post-greffe, il a rendez-vous tous les 15 jours sauf lorsqu’il y a un épisode de fièvre où la consultation a lieu le jour même pour vérifier l’origine et soigner en conséquence. Léandre sera en éviction scolaire pendant 1 an après la greffe (je lui fais l’école à la maison), les restrictions sociales et alimentaires sont toujours très strictes. Il doit refaire tous ses vaccins car les différentes chimiothérapies ont annulé toutes ces protections.
Aujourd’hui vous en êtes où ? Comment va Léandre et comment allez-vous tous ?
Léandre retrouve la forme petit à petit. A la sortie de Marseille, il pouvait dormir jusqu’à 16 heures par jour. Maintenant, il a un rythme plus normal mais l’appétit n’est pas encore revenu. Les cheveux ont bien repoussé.
De notre côté, nous essayons de nous reconstruire, de passer du temps de qualité avec les enfants. Le deuxième signal d’alarme de Léandre m’a fait réaliser qu’ils restent notre priorité. Par deux fois, nous nous sommes noyés dans la maladie et la peur du lendemain. Malgré tout, nous sommes tournés vers l’avenir, nous rêvons de plaisirs simples (manger au restaurant, aller au cinéma, amener Léandre au collège, recevoir des amis à la maison) comme de grands voyages.
Un dernier mot pour clôturer cette interview ?
Les parents, faites-vous confiance. Vous seuls connaissez parfaitement votre enfant. S’il présente des signes ou comportements inhabituels, allez consulter et n’hésitez pas à changer de médecin si son diagnostic ne semble pas correspondre.
La maladie est un véritable tsunami. On n’est jamais prêt à affronter la maladie grave de son enfant. Lorsque c’est le cas, dites-vous que vous faites au mieux pour tout gérer. Entourez-vous de personnes qui sauront vous apporter du réconfort et du soutien.
Si vous connaissez de la famille ou des amis qui traversent la même épreuve que nous, sachez les entourer : envoyez un message bienveillant, faites passer aux parents de bons petits plats faits maison , tendez des bras qui portent, supportent et encouragent, proposez une sortie, dites que vous êtes là en cas de besoin … c’est déjà beaucoup.
❤️🩹
Un immense merci à Bérangère d’avoir eu le courage de se replonger dans ses souvenirs et de partager avec nous son parcours, même à un moment où les défis persistent. Son témoignage, empreint d’authenticité, ouvre les yeux sur une réalité complexe et souvent méconnue.
Note des Crodiles … Vous souhaitez agir et apporter votre aide ?
Voici comment faire une réelle différence :
- Don de sang et plaquettes : Les services d’hémato-oncologie ont un besoin urgent et journalier. Prenez rendez-vous sur le site de l’EFS et contribuez à sauver des vies !
- Inscription aux registres de donneurs de moelle osseuse : Visitez le site officiel du Don de moelle osseuse pour en savoir plus et devenir un espoir pour ceux qui en ont besoin. #veilleurdevie
- Soutien financier : Faites un geste significatif en faisant un don aux associations qui œuvrent pour la recherche sur le cancer pédiatrique. Rendez-vous sur www.imagineformargo.org pour contribuer à façonner un avenir meilleur.
Chaque action compte, et ensemble, nous pouvons faire une réelle différence dans la vie des enfants touchés par le cancer. Merci de votre engagement et de votre solidarité.